lundi 10 juin 2013

Sauver les apparences.

   J'ai du mal a utiliser le terme "chômage" puisque lorsque je l'utilise, je deviens une chômeuse. Mettons-nous d'accord tout de suite sur l'utilisation et la signification de ce terme et le tabou qui l'entoure. Être au chômage - pour certains qui se reconnaitraient en ma personne - signifie tout bonnement "ne pas avoir d'emploi". Pour les bougres et bougresses de France mal lunés, ou tout simplement mal informés, être au chômage, c'est profiter du système, sucer leurs salaires et toucher des indemnités en bon petit vampires anarchistes et branleurs que nous sommes.

   Moi je voudrais vous parler du chômage des jeunes. Celui qui tâche. Celui qui fait pleurer. Celui qui fait honte. Celui qu'on ne comprend pas. Du chômeur en particulier, celui de notre génération que l'on nomme politiquement "demandeur d'emploi". Plaçons-le dans un contexte. Je vais l'exprimer à travers moi, à travers ce que j'en sais. 


   J'ai 23 ans, j'ai arrêté mes études à 20 ans, et depuis je mène un combat sans fin avec l'inactivité. Parfois le chemin se trouve parsemé de CDDs qui ne mènent nul part, d'entretiens récurrents, infructueux et officiant tels d'énormes bâtons de dynamite sur le moral et l'espoir. J'ai un parcours plutôt atypique, de formation en formation, un niveau d'étude bac+2 dans les métiers d'arts, et un CV long comme le bras rempli de compétences et essais divers et variés qui fait office de packaging à la marchandise humaine que je suis sur l'étalage du marché du travail. 

   Abordons tout d'abord un point essentiel : Le demandeur d'emploi ne reçoit aucune aide d'aucune sorte. Pas d'indemnité, pas d'aide sociale, pas de revenus. Pas de sécurité sociale, puisque pas de réel statut civil. C'est une chose a intégrer.

   La situation est la même pour beaucoup d'entre nous. Nous ne sommes pas la perle rare recherchée par les entreprises. Nous ne sommes pas nés emplis de connaissances et d'aptitudes. Nous avons besoin d'apprendre, besoin d'opportunités, besoin de commencer quelque part. Seulement voilà. Pour commencer, il faut aborder un des tabous de notre société. Laisser entrer les jeunes sur le marché du travail, leur proposer quelque chose, ouvrir les portes fermées. Au jour d'aujourd'hui mon seul espoir d'avoir un avenir meilleur repose sur un pacte avec un démon des croisements : coucou Dean Winchester, dans dix ans vient donc me sauver les miches, tu visiteras la France.

   Combien ça coûte de s'entretenir pour être "normal" aux yeux du monde. Voilà une question intéressante. Vous ne vous pointez pas poser des CVs en baskets trouées, des racines de dix centimètres. Je le vis en tant que femme : Le coiffeur, le maquillage, les vêtements, les chaussures, la vie a un coût qui bien sûr, en toute logique, dépasse notre revenu énoncé précédemment avoisinant le zéro absolu. Je parlais tout à l'heure de honte. Le demandeur d'emploi vit chez ses parents, ses amis, n'a pas vraiment de chez soi. Pas vraiment de place dans la société. Peu d'espoir, peu de choix, beaucoup de peur, d'anxiété. Pas de possibilité de changement. Partir. On y pense tous. Aller chercher ailleurs. Ah, oui - mais pour partir, il faut un pécule de départ. Retour au commencement, passe par la case dilemme, ne touche pas vingt milles boules. Le demandeur d'emploi est coincé dans une coquille trop petite, celle d'un adulte dans les restes d'un cocon d'adolescent.

   Alors on argumente souvent en me disant " oui enfin, à ton âge moi je trimais de petits boulots en petits boulots." J'acquiesce. Seulement, il faut le savoir - et par il faut le savoir, j'entends "il faut le vivre" - aujourd'hui enchainer les petits boulots n'est plus aussi facile. Le temps s'écoule vite entre deux CDDs de "survie". Trois ans que les CDDs dit de survie sont simplement ma vie. L'élément principal du décor. Celui qui te réveille la nuit avec les questions " Quand / où / que sera le prochain ?". L'avenir si incertain qui tiraille, qui fait honte en société, qui nous fait reculer face aux rencontres, aux amitiés, à l'amour. Celui qui nous fait vivre au crochet des proches et qui nous dégoûte de nous-même.

   Et plus le temps passe, plus on doute de ses propres capacités. Plus on recule. Plus on cherche bas, ingrat, et plus c'est difficile. Plus on se dit " comment je pourrais travailler toute ma vie si maintenant je tourne en rond. Quand on ne voudra plus de moi dans la vente/ la junk food / la galère - quand je n'aurais plus de jus, quand je serais fanée aux yeux de la société autour de mes 35-45 ans, comment DIABLE irais-je jusqu'au bout de ce qu'on me demande d'accomplir ?". On m'a élevé dans l'idéalisme des générations précédentes : " Choisit un métier que tu aimeras, qui te fera sentir complète et qui te rendra heureuse." Peut-être est-ce là l'erreur pour notre génération. Où en serait-on si on nous avait dit " Choisit un travail qui paye peut importe si tu l'aimes du moment qu'il paye les factures et qu'il t'amène au bout du voyage."

   La jeunesse de la Nation tourne en rond, attend son tour, attend une main tendue, un patron qui aura les couilles de lui dire " Tu as la motivation, la hargne mais tu n'y connais rien? On verra à la fin du mois si tu fais l'affaire, je t'engage." Et si un recruteur, un gérant, qui que ce soit en réalité, lit ces mots : il faut vous rendre compte qu'un délai d'un mois entre chaque entretien c'est une éternité pour quiconque cherche un emploi. Les factures et les charges, la nourriture, la vie, c'est tout les jours. C'est tout les mois. On ne peut pas vous donner tout notre temps, là où vous prenez le vôtre.


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11 commentaires:

  1. Chouette article. Je crois que c'est bien d'en parler, de mettre des mots la dessus, parce que comme tu le dis, ca reste tabou et je trouve ça triste. Ca enferme encore davantage les gens qui n'ont pas la chance de trouver du travail. On stigmatise les chômeurs en disant que s'ils voulaient vraiment un travail, ils en trouveraient, etc... Et c'est pas les pires conneries que j'ai entendues.
    C'est vraiment le genre d'article qui devrait tourner un max.
    Je finis mon CDD dans 10 mois, je sais pas où je vais après et c’est déjà l'angoisse.
    Bon courage jolie ♥ :)

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    1. Tout à fait. Je suis en pleine saison des mariages, et j'angoisse à l'idée de rencontrer des gens, de devoir me présenter et dire que " je cherche du travail en ce moment". En ce moment depuis trois ans. De devoir les voir penser dans leurs petites têtes que " ouais en gros tu branles rien, t'es chômeuse." T'es chômeur= tu ne fais rien de tes journées. L'amalgame est vite fait. Et bien trop intégré dans la mémoire collective.

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    2. Au contraire, quand tu est "chomuer" tu finis bien vite apr travailler plus que notre élite (en tout cas, ils se posent ainsi par rapport à nous) des 35 heures ...

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  2. Le stigmatisme des chômeurs est, hélas, récurrent dans tous les pays, moi, petit belge, je me suis rendu compte comment il a été dur de supporter mon statut de vampire social pendant un temps... Des contrôles, de la honte de dire que j'étais sans emploi, de la frustration... Bref rien pour me motiver à avancer, aujourd'hui je crois avoir une excellente situation et je l'ai obtenue uniquement grâce à la chance, je dis excellente car je la compare à ce que j'ai vécu avant ou par rapport à certains secteurs de travail et cela ne va pas en s'arrangeant... J'essaye aujourd'hui de ne pas tomber dans cette manie de maudire la personne qui est sans emploi, j'essaye de garder les valeurs que j'ai acquis lors de cette période de galère car, il faut le dire, ce fut un véritable combat de paperasserie et de maintien de forme physique et psychologique...

    Je souhaite à tous les lecteurs et toutes les lectrices de cet article si bien rédigé de trouver un jour cette opportunité chanceuse à laquelle j'ai eu droit...

    Signé un ancien admin fêtard d'une communauté vidéoludique que tu reconnaîtras peut-être ;-)

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    1. Facebook t'as vendu, mon belge préféré, ahah. Niveau moral tu m'as pas mal soutenu, avec cette période "admin vidéoludique" on formait une bonne équipe que veux-tu ! Merci pour tout.

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    2. Je te rends au centuple tes remerciements, ta bonne humeur, ton humour et ta force de caractère m'ont toujours donné envie de te connaître davantage mais la distance est malheureusement là, mais cela n'empêche pas que je te considère de manière très haute dans mon cercle d'amitié malgré nos rares échanges :-) qui sait, peut-être un jour te ferai-je goûter nos bons produits du terroir et nous aurons une occasion de partager nos opinions sur des sujets comme celui-ci autour d'une bonne Chimay Bleue par exemple :-)

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    3. Ce sera avec plaisir mon bon ami ! Dès que j'ai un CDI et que j'ai droit à des vacances POUR DE VRAI, ahah.

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  3. Excellent article! Je m'y retrouve énormément (sauf qu'au final je survis comme je peux avec un CDI temps partiel dans un fast-food). Je ne sais même pas quoi ajouter tellement tu as tout dis, clairement et avec une hargne qui montre bien que non, nous ne sommes pas des assistés au crochet de la société. Nous ne sommes pas "demandeurs d'emploi" nous VOULONS TRAVAILLER.

    Au plaisir de continuer à te lire (je découvre seulement ton blog). Des bisous et bon courage pour la suite, en espérant que tu n'aies pas à finir dans un fast-food comme moi (je ne le souhaite à personne tellement c'est un boulot ingrat et mal payé) <3

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    1. Tu aurais du mal à imaginer la largeur du sourire que j'affiche maintenant. Merci pour ce commentaire qui fait du bien, on se sent moins seule, et, je te souhaite beaucoup de courage. Au plaisir de se relire :). Bises !

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  4. Je suis plus que d'accord avec cet article surtout qu'il met en exergue un gros problème des politiques RH actuelles en matière de recrutement : On veut des jeunes diplômés à minima d'un bac +5 et avec beaucoup d'expérience.

    Le souci c'est que si les entreprises ne prennent pas la peine de recruter de jeunes pour les former, il est normal que le nombre de jeunes chômeurs soit toujours aussi important. Surtout que former un jeune permet de le façonner à l'esprit de l'entreprise et le motiver à gravir les échelons et rendre la confiance qui lui a été donnée.

    Moi même je vais bientôt me retrouver chômeur (mi octobre normalement), et avec mon petit bac +3 en communication et mes presque 4 années d'expériences, je sais pertinemment que trouver dans ma voie sera plus que compliquée... Et comme beaucoup d'autres, je vais faire une croix sur une carrière juste pour le principe de survie financière et sociale.

    Car oui être sans emploi implique une exclusion sociale car on ne peut plus sortir, on finit par rester chez soi, honteux de cette situation que l'on subit. Vivre a un coût important et même si les assedics existent, ils ne sont pas éternels.

    Je te souhaite bon courage pour l'obtention du sésame qu'est le CDI dans une entreprise respectueuse qui permettra de t'épanouir.

    Ah bientôt peut-être, je vais mettre ton blog dans ceux que je vais suivre maintenant ;)

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    1. Le commentaire bouffée d'air frais. Merci beaucoup ! Ah nos avis se recoupent, c'est plaisant à lire. Le problème du rêve de l'éternelle jeunesse.

      tout à fait d'accord pour ce qui est de l'exclusion sociale, et du sentiment de honte. C'est un ressenti tout à fait abominable.

      Il se trouve que j'ai peut-être ( je dis bien peut-être, je suis devenue pessimiste ) décroché un cdi, pas reluisant, pas de merveille niveau épanouissement, mais un cdi tout de même, sous une enseigne que je connais bien et avec des équipes agreables et connues de mon parcours. On croise les patounes ! Je te souhaite beaucoup de courage et je croise milles doigts pour que tu retrouves vite.

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