Sauver les apparences.
J'ai du mal a utiliser le terme "chômage" puisque lorsque je l'utilise, je deviens une chômeuse. Mettons-nous d'accord tout de suite sur l'utilisation et la signification de ce terme et le tabou qui l'entoure. Être au chômage - pour certains qui se reconnaitraient en ma personne - signifie tout bonnement "ne pas avoir d'emploi". Pour les bougres et bougresses de France mal lunés, ou tout simplement mal informés, être au chômage, c'est profiter du système, sucer leurs salaires et toucher des indemnités en bon petit vampires anarchistes et branleurs que nous sommes.
Moi je voudrais vous parler du chômage des jeunes. Celui qui tâche. Celui qui fait pleurer. Celui qui fait honte. Celui qu'on ne comprend pas. Du chômeur en particulier, celui de notre génération que l'on nomme politiquement "demandeur d'emploi". Plaçons-le dans un contexte. Je vais l'exprimer à travers moi, à travers ce que j'en sais.
J'ai 23 ans, j'ai arrêté mes études à 20 ans, et depuis je mène un combat sans fin avec l'inactivité. Parfois le chemin se trouve parsemé de CDDs qui ne mènent nul part, d'entretiens récurrents, infructueux et officiant tels d'énormes bâtons de dynamite sur le moral et l'espoir. J'ai un parcours plutôt atypique, de formation en formation, un niveau d'étude bac+2 dans les métiers d'arts, et un CV long comme le bras rempli de compétences et essais divers et variés qui fait office de packaging à la marchandise humaine que je suis sur l'étalage du marché du travail.
Abordons tout d'abord un point essentiel : Le demandeur d'emploi ne reçoit aucune aide d'aucune sorte. Pas d'indemnité, pas d'aide sociale, pas de revenus. Pas de sécurité sociale, puisque pas de réel statut civil. C'est une chose a intégrer.
La situation est la même pour beaucoup d'entre nous. Nous ne sommes pas la perle rare recherchée par les entreprises. Nous ne sommes pas nés emplis de connaissances et d'aptitudes. Nous avons besoin d'apprendre, besoin d'opportunités, besoin de commencer quelque part. Seulement voilà. Pour commencer, il faut aborder un des tabous de notre société. Laisser entrer les jeunes sur le marché du travail, leur proposer quelque chose, ouvrir les portes fermées. Au jour d'aujourd'hui mon seul espoir d'avoir un avenir meilleur repose sur un pacte avec un démon des croisements : coucou Dean Winchester, dans dix ans vient donc me sauver les miches, tu visiteras la France.
Combien ça coûte de s'entretenir pour être "normal" aux yeux du monde. Voilà une question intéressante. Vous ne vous pointez pas poser des CVs en baskets trouées, des racines de dix centimètres. Je le vis en tant que femme : Le coiffeur, le maquillage, les vêtements, les chaussures, la vie a un coût qui bien sûr, en toute logique, dépasse notre revenu énoncé précédemment avoisinant le zéro absolu. Je parlais tout à l'heure de honte. Le demandeur d'emploi vit chez ses parents, ses amis, n'a pas vraiment de chez soi. Pas vraiment de place dans la société. Peu d'espoir, peu de choix, beaucoup de peur, d'anxiété. Pas de possibilité de changement. Partir. On y pense tous. Aller chercher ailleurs. Ah, oui - mais pour partir, il faut un pécule de départ. Retour au commencement, passe par la case dilemme, ne touche pas vingt milles boules. Le demandeur d'emploi est coincé dans une coquille trop petite, celle d'un adulte dans les restes d'un cocon d'adolescent.
Alors on argumente souvent en me disant " oui enfin, à ton âge moi je trimais de petits boulots en petits boulots." J'acquiesce. Seulement, il faut le savoir - et par il faut le savoir, j'entends "il faut le vivre" - aujourd'hui enchainer les petits boulots n'est plus aussi facile. Le temps s'écoule vite entre deux CDDs de "survie". Trois ans que les CDDs dit de survie sont simplement ma vie. L'élément principal du décor. Celui qui te réveille la nuit avec les questions " Quand / où / que sera le prochain ?". L'avenir si incertain qui tiraille, qui fait honte en société, qui nous fait reculer face aux rencontres, aux amitiés, à l'amour. Celui qui nous fait vivre au crochet des proches et qui nous dégoûte de nous-même.
Et plus le temps passe, plus on doute de ses propres capacités. Plus on recule. Plus on cherche bas, ingrat, et plus c'est difficile. Plus on se dit " comment je pourrais travailler toute ma vie si maintenant je tourne en rond. Quand on ne voudra plus de moi dans la vente/ la junk food / la galère - quand je n'aurais plus de jus, quand je serais fanée aux yeux de la société autour de mes 35-45 ans, comment DIABLE irais-je jusqu'au bout de ce qu'on me demande d'accomplir ?". On m'a élevé dans l'idéalisme des générations précédentes : " Choisit un métier que tu aimeras, qui te fera sentir complète et qui te rendra heureuse." Peut-être est-ce là l'erreur pour notre génération. Où en serait-on si on nous avait dit " Choisit un travail qui paye peut importe si tu l'aimes du moment qu'il paye les factures et qu'il t'amène au bout du voyage."
La jeunesse de la Nation tourne en rond, attend son tour, attend une main tendue, un patron qui aura les couilles de lui dire " Tu as la motivation, la hargne mais tu n'y connais rien? On verra à la fin du mois si tu fais l'affaire, je t'engage." Et si un recruteur, un gérant, qui que ce soit en réalité, lit ces mots : il faut vous rendre compte qu'un délai d'un mois entre chaque entretien c'est une éternité pour quiconque cherche un emploi. Les factures et les charges, la nourriture, la vie, c'est tout les jours. C'est tout les mois. On ne peut pas vous donner tout notre temps, là où vous prenez le vôtre.